vendredi 7 mars 2014

Éric Venot-Eiffel et les ténèbres de la foi

Éric Venot-Eiffel et les ténèbres de la foi

J'ai tant douté de toi

Tous les livres que nous lisons, n’ont pas la même importance. Cela va de soi, me direz-vous. Oui, mais il est bon de se demander pourquoi. J’ai terminé ces jours-ci, un livre qui m’a beaucoup touché, car il a su répondre, dans une certaine mesure, à une interrogation que je porte en moi depuis des années. Il y a une épreuve que certains de mes confrères Oblats de la Vierge Marie ont vécue et qui est terrible. Aux dires de ces confrères, qui ne sont plus Oblats de la Vierge Marie, et qui d’ailleurs, ne sont plus prêtres, ils auraient perdu la foi. Pouvons-nous seulement imaginer ce que cela peut signifier, pour un prêtre, de perdre la foi, ou même d’avoir le sentiment d’avoir perdu la foi? Si perdre la foi est un drame pour tout être humain, je pense qu’il est un drame encore plus grand, si cette épreuve est vécue par un prêtre.

Un prêtre français a vécu cette expérience et nous l’a partagée. J’ai connu ce prêtre par hasard, en voyant à la télévision, une entrevue qu’il a donnée sur Ktotv (1). Immédiatement après avoir vu l’entrevue, je savais que j’achèterais le livre écrit par ce prêtre, dont voici la référence : Éric Venot-Eiffel, J’ai tant douté de toi, Paris, Médiaspaul, 2012, 150 pages.

J’aime beaucoup le titre du livre : « J’ai tant douté de toi ». Ce titre me fait penser à une chanson de Jean Ferrat, intitulée : « Que serais-je sans toi? » (2). Le titre de cette chanson comprend six syllabes, tout comme le titre du livre de l’abbé Venot-Eiffel, et tout comme les paroles suivantes, qui se trouvent dans la chanson : « J’ai tout appris de toi » (« J’ai tant douté de toi »). Lorsque j’écoute ou que je chante « Que serais-je sans toi » ou «  J’ai tout appris de toi », j’adresse ces mots à Dieu. J’aime bien « christianiser » les chansons populaires, du moins dans mon esprit. Il est bien vrai que j’ai tout appris de mon Dieu, « sur les choses humaines ». Et je suis sûr  que l’abbé Venot-Eiffel dirait lui aussi, qu’il a tout appris de son Dieu. D’où le drame intérieur terrible que ce doit être, d’avoir le sentiment de ne plus croire en Celui qui nous a tout appris.

Ce drame intérieur, pour l’abbé Venot-Eiffel, a duré dix-sept ans. Dix-sept années de pur Calvaire, de 1994 à 2011. Voici quelques lignes qui nous décrivent ce drame :

« Et soudain l’épreuve tombe; c’est comme si la nuit entrait en moi; je sens la Foi, ma Foi, se retirer. Dieu, la vie éternelle, ce sont des inventions des hommes. J’ai bâti mon existence sur du vide. Je suis sonné. Sur le moment je ne parviens pas bien à intégrer ce qui vient de se passer. Dormons un peu, une petite sieste, des idées claires viendront après. Mais non, rien ne vient, ou plutôt rien ne revient. Le soir aux Vêpres et à l’heure de prière silencieuse je suis perdu; je tâche malgré tout de faire bonne figure dans les jours et les semaines qui suivent. » (J’ai tant douté de toi, pp. 16-17)

« Telle la mer à la descente des eaux, la foi s’est retirée. Je veux parler de cette adhésion de fond à l’existence de Dieu. Dieu qui avait pour moi le visage du Christ, ce trésor qu’il m’a été donné de trouver « caché dans un champ » tel l’homme de la parabole (Mt 13, 44) lorsque j’avais 23 ans.

Je sais que la foi se vit ordinairement dans une certaine obscurité. Mais depuis dix-sept ans, c’est autre chose.

Pour autant, je suis totalement sincère lorsque je célèbre la messe et que je parle de Dieu. Je ne fais pas semblant; je dis ce que je veux croire : ces réalités de la foi qui, je le sens, sont inscrites en moi quelque part, dans une zone que je ne peux atteindre; je m’appuie sur le souvenir de l’homme que j’étais. Et, dans ce que je fais, je mets le maximum d’amour (mon tempérament perfectionniste m’y pousse), mais sans la foi pour alimenter cet amour. » (J’ai tant douté de toi, p. 12)

L’abbé Venot-Eiffel, sera aidé par des mystiques qui ont aussi vécu la nuit de la foi. Thérèse de l’Enfant-Jésus sera d’un grand secours pour le prêtre qui vit lui aussi sa nuit obscure. En particulier cette phrase de Thérèse : « Il ne me reste que l’amour ».

« Dans un livre sur Thérèse, Maurice Bellet a ces mots admirables que je vais appendre par cœur : « Dieu est cet Inconnu, par-dessous le gouffre de l’absence, qui s’éveille en nos cœurs et nos mains, lorsque nous nous faisons proches du prochain. » Voilà. Je vais me raccrocher à cela. La foi s’est retirée, mais l’amour est à ma portée. Et, si Dieu existe, je vais ainsi entretenir mon lien avec Lui, mais dans la nuit, le gouffre de l’absence qu’évoque Maurice Bellet. Si Dieu n’existe pas, me faire proche du prochain, aimer celles et ceux qui sont sur ma route, faire ce qu’on attend de moi et qui a du sens, est-ce une erreur? Seulement, voilà : Dans notre règle de vie quotidienne (à l’époque, l’abbé Venot-Eiffel est moine Carme), il y a toutes ces heures passées à prier. Dans l’état où je suis, comment les supporter, comment leur donner du sens? »

L’abbé Venot-Eiffel, quittera les Carmes et deviendra prêtre diocésain. Il travaillera comme aumônier d’hôpital et comme aumônier de prison. C’est la charité qui sera le moteur de sa vie; un peu comme Mère Teresa de Calcutta, qui a aussi vécu la nuit de la foi, pendant de très nombreuses années. Mère Teresa disait que ce qui l’encourageait à continuer dans sa vocation, c’était de voir qu’elle faisait du bien aux gens. Les gens témoignaient, en sa présence, que ses paroles et ses gestes les réconfortaient. Mère Teresa voulait alors voir en cela, l’action de Dieu en elle.

À la suggestion d’un des ses confrères prêtres, l’abbé Venot-Eiffel, a cherché du secours dans un accompagnement spirituel. Quelle bonne suggestion!  Quelle bonne décision! Il a eu comme accompagnateur spirituel, l’abbé Xavier Thévenot, qui est un auteur spirituel très connu. L’abbé Thévenot sera d’une grande aide pour le prêtre qui vient se confier à lui, désemparé par tant d’obscurités.

S’il y a une vérité que l’on retrouve comme un leitmotiv, dans le livre de l’abbé Venot-Eiffel, c’est celle-ci : les voies de Dieu sont insondables et nous ne pouvons jamais être certains de les interpréter correctement. Ceci étant dit, je vais vous partager la lumière principale que j’ai retirée de ce livre. Comment expliquer le fait que Dieu permette que des gens ancrés dans la foi, des personnes qui ont tout misé sur leur croyance en Dieu, vivent l’épreuve spirituelle de la « nuit de la foi »? C’est un dialogue de l’abbé Thévenot avec l’abbé Venot-Eiffel, qui m’a mis sur la piste de l’explication que je cherchais depuis déjà quelques années. L’abbé Thévenot parle du livre qu’il est en train d’écrire et qui s’intitule : Avance en eau profonde. Il s’agit du journal spirituel que l’abbé Thévenot a écrit durant sa maladie. L’abbé Thévenot confie ceci à l’abbé Venot-Eiffel :

« Je suis peut-être appelé à m’avancer dans les eaux profondes de la culture contemporaine, une culture marquée par une certaine apologie du doute, le doute qui met en cause tout absolutisme de pensée, de quelque ordre qu’il soit, et notamment religieux. Comme si le Christ me disait : « C’est à cette condition seulement que tu seras pêcheur d’hommes! » (J’ai tant douté de toi, p. 24)

Personnellement, je crois que le fait que Dieu permette à tant de personnes croyantes de notre temps, de vivre la « nuit de la foi » ou « les ténèbres de la foi », c’est en raison d’un fait historique nouveau. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous retrouvons sur terre la propagation fulgurante de l’athéisme. De très nombreuses personnes, spécialement dans les sociétés dites « avancées », sont athées ou se proclament athées. Voici une situation tout à fait nouvelle et très déconcertante. Je pense que Dieu devant la prolifération de l’athéisme, se sert d’âmes choisies et aimées par Lui, pour leur faire vivre en quelque sorte, l’expérience de l’athéisme. Tout cela, bien sûr, dans une perspective de salut et de miséricorde. Ces amis de Jésus, qui connaîtront en leur âme, les affres de l’athéisme, et qui contre vents et marées, voudront tenir le flambeau de la foi qui semble éteint en eux, contribueront, grâce à l’offrande amoureuse de leur souffrance, au salut de notre monde; et en particulier au salut de nombreuses personnes athées. Voilà du moins comment je perçois la chose, et la conviction qu’a fait surgir en moi, la lecture du livre J’ai tant douté de toi

Pour appuyer cette thèse, ou plutôt cette hypothèse, voici deux citations de sainte Thérèse de Lisieux, que nous retrouvons dans le livre de l’abbé Venot-Eiffel :

« Dans le recueil Les derniers entretiens, elle (Thérèse) évoque le « raisonnement des pires matérialistes qui s’impose à son âme » (J’ai tant douté de toi, p. 18)

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a cru comprendre le sens de l’épreuve de la foi qu’elle a vécue :

« Jésus m’a fait sentir qu’il y a véritablement des âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor. » Que veut dire Thérèse par des abus de grâces? Il me semble qu’elle part de sa propre expérience et qu’elle pense : elle qui a reçu tant de grâces de foi pourrait se laisser aller, découragée par la brutalité de l’épreuve; elle pourrait ne pas lutter comme elle lutte (car Thérèse se bat : « Je crois avoir fait plus d’actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie ») et ainsi abuser des grâces reçues durant son existence; c’est-à-dire ne pas en faire grand cas, les oublier d’une certaine manière et se laisser happer par les ténèbres.

Ces hommes qui ont abusé des grâces, elle les appelle pécheurs, et elle pense que Jésus la veut spirituellement assise à leur table. De même qu’il allait lui-même s’inviter à la table de pécheurs tels Zachée ou Matthieu, Jésus veut Thérèse là, entrant dans ce même mouvement, habitant spirituellement ce lieu précis de l’Évangile durant les 18 derniers mois de sa vie.

Seigneur, votre enfant l’a comprise, votre divine lumière, elle vous demande pardon pour ses frères, elle accepte de manger aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur et ne veut point se lever de cette table remplie d’amertume où mangent les pauvres pécheurs avant le jour que vous avez marqué …  Ô Seigneur, que tous ceux qui ne sont point éclairés du lumineux flambeau de la foi le voient luire enfin! »  (J’ai tant douté de toi, pp. 33-34)

Pour l’abbé Venot-Eiffel, l’heure du retour à la jouissance de la foi, a sonné en septembre 2011. La foi s’est glissée en lui tout doucement, à la manière de la brise légère qui a fait réaliser au prophète Élie que Dieu était avec lui (1 Rois 19, 12). Et ce retour de la foi, n’est pas venu seul. Des choses ont changé pour le mieux dans le cœur de l’abbé Venot-Eiffel, et il semble très heureux d’en témoigner. Pour moi, cela est un signe que l’épreuve venait de Dieu, en quelque sorte; ou était permise par Dieu. On juge d’une vie humaine, à ses fruits, nous dit Jésus; or on juge aussi d’une expérience spirituelle, à ses fruits. L’épreuve chrétienne recèle toujours de merveilleux fruits, que l’on ne peut goûter et contempler qu’une fois l’épreuve passée.

Je vous ai déjà partagé l’épreuve de ma vie : la dépression sévère que j’ai vécue en 1997-1998. Que de beaux fruits ont produit en mois ces mois d’enfer. Voilà le mystère chrétien, voilà le fruit de la Pâques que nous nous préparons à célébrer et à intégrer de nouveau dans nos vies.

(1) 

Père Éric Venot-Eiffel - KTO

www.ktotv.com/video/00080785/pere-eric-venot-eiffel
16 déc. 2013
Le père Vénot-Eiffel témoigne de la nuit de la foi qui a "fondu" sur lui en 1994, deux mois après le décès de son ...
Termes manquants : youtube
(2) 

Jean Ferrat Que serais je sans toi - YouTube

www.youtube.com/watch?v=I1lqm5g4RsA13 Mar 2010 - 3 min - Uploaded by espacecrea2010hdb




2 commentaires:

  1. Quel beau témoignage... comme quoi il ne faut jamais désespérer de rien...

    RépondreSupprimer
  2. Une poignante et saisissante introspection vers le chemin de l'espérance
    La foi est un don de Dieu

    RépondreSupprimer