jeudi 19 juillet 2012

Didier Decoin, à contre-courant

 Didier Decoin, à contre-courant

J’aime les gens qui vont à contre-courant. Le chrétien, depuis toujours, nage à contre-courant sur la mer de ce monde. C’est sa mission, c’est sa vie, c’est son bonheur. Heureux le chrétien, heureuse la chrétienne dont la vie modelée sur Jésus, interpelle, dérange, questionne.

J’ai commencé ces jours-ci la lecture du livre de Didier Decoin intitulé : Il fait Dieu. Pour Didier Decoin, il fait Dieu comme pour d’autres il fait jour. C’est lui-même qui le dit. Autrement dit, pour lui, Dieu est presque devenu une évidence, Dieu est l’oxygène qui le fait vivre. Decoin nage en Dieu comme un poisson nage dans l’eau. Cet homme, né en 1945, a été journaliste, romancier (récipiendaire du prix Goncourt en 1977 pour son roman : John l’Enfer), scénariste et réalisateur de films. Il est marié et père de trois enfants. Il vit en Normandie.

Il y a un courant d’idée qui circule depuis fort longtemps. D’après ce courant, Dieu est une drogue. Marx est un de ceux qui ont le mieux exprimé cette idée farfelue à mes yeux. D'après Karl Maex, la religion est l’opium du peuple. Selon lui, si les gens croient, c’est parce qu’ils veulent bien croire et ils veulent croire pour que la vie leur soit plus facile, pour que le mal et les épreuves, leur soient plus supportables. En croyant qu’il existe un Dieu qui nous aime et qui nous réveillera du sommeil de la mort, tout prend un sens et tout devient par le fait même plus facile à accepter et à supporter. Dieu et la religion sont donc une drogue à bon marché, mais très efficace pour ceux qui veulent s’évader de ce monde où ils peinent à vivre.

Didier Decoin, dans son essai publié en 1975 et intitulé Il fait Dieu, met la hache dans ce courant d’idée tout à fait farfelu et erroné. Et il le fait de façon merveilleuse, en appuyant parfois très fort. Cet auteur montre très bien que la vie est loin d'être facile pour les croyants en Dieu; et particulièrement pour les chrétiens. Si le fait de croire en Dieu et en une vie après la mort, peut apaiser quelqu'un au moment de la mort, cette même croyance devrait normalement aboutir à une vie très exigeante qui ne connaît en quelque sorte aucun repos. La grande question pour l'être humain, est de savoir comment il veut vivre sa vie ici-bas. Didier Decoin montre très clairement que la vie d'un chrétien convaincu, est beaucoup plus difficile et exigeante à vivre, que la vie de la plupart des athées. La vie selon l'Évangile comporte des exigences surhumaines; ce qui ne devrait pas nous surprendre lorsqu'un Dieu fait irruption dans notre histoire. La vie de plusieurs athées est somme toute assez facile à vivre; ils n'ont en quelque sorte qu'à vivre comme bon leur semble. La vie d'un athée sera aussi parsemée d'embûches et de souffrances, mais pour le reste, il gouverne sa vie comme il l'entend. Il ne lui est pas demandé de pardonner soixante-dix sept fois sept fois à qui l'offense. Il ne lui est pas demandé de vivre fidèle et aimant envers son épouse durant toute sa vie. Il ne lui est pas demandé de ne pas juger, afin de n'être pas jugé, ect.-, etc. Voici ce qu'affirme Didier Decoin, dans son livre: 

« Car, tandis qu'on le vit, je ne connais aucun état plus douillet que l'athéisme (non pas l'athéisme de combat, qui rappelle plutôt les furieux épuisements de Don Quichotte, mais l'athéisme d'indifférence: là, tout n'est que luxe, calme et volupté, je le sais, je l'ai vécu!). » (Didier Decoin, Il fait Dieu, Fayard, 1997, p. 68) 

Voici quelques extraits de son livre au chapitre intitulé : L’enfer de Dieu; dans ce chapitre, Decoin va jusqu’à dire « qu’aimer Dieu c’est vivre un enfer ».

« Il ne m’est jamais arrivé de confesser ma foi sans susciter l’envie – la jalousie parfois, mais l’envie de toute façon.
   Croire est confortable, me dit-on. Et d’ajouter que pour qui fonde sa vie sur Dieu, tout devient singulièrement clair, établi. …
   Avec Dieu, me dit-on, tout s’explique. Aucune trappe ne s’ouvre plus sur le néant, ni sur l’absurde (lequel est pire que le néant). Je n’oublie pas cette phrase d’un ami incroyant : Nous sommes tous des navigateurs. Mais toi, tu sais toujours où tu es et où tu vas.
   Dieu est d’abord un Dieu compensateur, paraît-il. Et les hommes ont un besoin presque vital de cet énorme système de balance, où le jour succède à la nuit, le soleil à la pluie, l’assouvissement à la faim, l’amour à la haine, la vie à la mort.
   Le raisonnement est trop beau. Trop humain, sans doute. Le monde où il fait Dieu n’est pas un monde assuré, ni rassuré. Car dans le monde où il fait Dieu, il n’y a ni compensation, ni balance. Aimer Dieu, c’est vivre un enfer. » (Il fait Dieu, pp. 19-21)

En la nuit du 8 septembre de l’année qu’il taira jusqu’à la fin du monde, Didier Decoin a rencontré l’Amour qui l’aime de toute éternité. Et chaque jour cet amour le brûle et le lance vers de nouveaux défis. Comment une personne croyante peut-elle ne pas souffrir d’aimer si peu qui l’aime infiniment?Seule la personne qui n’a jamais rencontré l’Amour infini, peut penser et imaginer que croire en Dieu est une tâche facile. Croire en Dieu n’est pas une sinécure; c’est une aventure; la plus belle des aventures qui soient. Belle, mais souvent douloureuse:

« La seconde exigence vint de Dieu. Ce fut la plus terrible : il s’agissait de Lui rendre ce qu’Il m’avait offert – l’amour. Cette exigence ne fut pas satisfaite, et ne le sera pas. Car ma puissance d’aimer faiblit au pied du lit, avec la fatigue et le sommeil. C’est un exemple, il y en a d’autres. Alors, à tous ceux qui parlent sans savoir, à tous ceux qui s’exclament que la foi (et même la certitude!) sont des récompenses, des gratifications splendides, moi je dis que croire est surtout une humiliation : celle de vivre, chaque minute de chaque heure de chaque jour, mon incapacité d’aimer.
   Oh, ce n’est pas Dieu qui est loin de l’homme, mais l’homme qui est loin de Dieu.
   Ne pas savoir, ne pas pouvoir aimer qui vous aime parfaitement et inlassablement; avancer de deux pas pour, aussitôt reculer de trois; prendre tout et ne donner qu’à moitié; répondre à la brûlure par la tiédeur, à la cascade par la sécheresse – éprouver tout cela, n’est-ce pas une forme d’enfer ? » (Il fait Dieu, pp. 24-25)
  
   « L’homme sans Dieu est un homme à la maison. Son jardinet est étroit, mais au moins est-il fermé de partout. Une sécurité ronronnante compense le manque d’horizons. Si les fleurs qui s’y épanouissent ont de maigres corolles et peu de parfums, elles sont dénuées d’épines.
   L’homme avec Dieu est un errant. Il ne sait jamais où, ce soir, il reposera sa tête. Si la pierre, en guise d’oreiller, sera moussue ou tranchante.
   Tes exigences sont formidables, mon gentil Seigneur. Tu me demandes toujours ce que je voudrais ne pas Te donner. Tu m’attends exactement là où je voudrais ne pas aller. Qui te trouve trouve aussi l’inconfort, l’exaspération.
   Aimer, c’est vouloir s’identifier à la personne aimée. Et moi, je sais que je ne T’approcherai jamais d’aussi près que mon âme le désire – oh, ce désir fabuleux que Tu as déposé en moi, ce poison violent dont la douceur m’émerveille. » (Il fait Dieu, pp. 27-28)

En écrivant ces lignes, je pense à un de mes amis d’enfance que j’ai revu après vingt ans d’éloignement. Cet homme est maintenant professeur d’université et athée. Lors d’une conversation avec lui, je lui disais que s’il devenait croyant, cela changerait des choses dans sa vie. Il m’a alors répondu : « Oh, je sais très bien que cela changerait des choses dans ma vie. » Cette réponse d’une personne athée donne à réfléchir. Je pense de plus en plus que l’athéisme peut souvent être une drogue, une sécurité face à la vie et à ses exigences véritables. Peut-être que consciemment ou inconsciemment les athées savent au fond d’eux-mêmes que croire en Dieu mène inévitablement à la souffrance et au don de soi. Or comment pourrait-on désirer un chemin qui mène à la souffrance si on ignore que la souffrance est souvent sinon toujours un chemin de vie ?

Si quelqu’un parmi vous désirait connaître un peu ce qui s’est passé un certain 8 septembre dans la vie de Didier Decoin, vous pouvez lire ceci (vous n'avez qu'à cliquer sur les mots suivantsLe Monde des Religions n°19 - DIDIER DECOIN. "LA PRESENCE ... )


P.S. Je suis en train de lire un magnifique petit livre de Didier Decoin, intitulé: Jésus le Dieu qui riait, Une histoire joyeuse du Christ, Le Livre de Poche, Éditions Stock, 1999. Si vous avez lu le mot de présentation que j'ai mis sur la première page de mon blogue, vous savez que je fais partie d'une Congrégation religieuse qui a comme spiritualité les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Quiconque a déjà vécu ces Exercices spirituels, goûtera à plein et savourera les pages de ce petit livre. La façon dont M. Decoin décrit les épisodes évangéliques est tout à fait dans la ligne de ce que saint Ignace demande au retraitant de faire pour méditer les évangiles. Il faut imaginer les lieux, entendre les personnages, sentir l'atmosphère, etc; ce que Didier Decoin fait à merveille. Je recommande à tous la lecture de ce merveilleux livre. Bien sûr, le fait que M. Decoin ait daigné écrire une histoire " joyeuse " de Jésus, ne risquait pas de me déplaire.
   

3 commentaires:

  1. c'est merveilleux ce témoignage! J'irai voir sur le web ce qu'il est dit et écrit sur ce Monsieur! ainsi que son vécu particulier. J'admire les personnes qui s'ouvrent à l'amour de Dieu! sous tous ses aspects et qui le reconnaissent ouvertement.

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    1. Chère Aurore,

      Voilà ce que j'admire le plus chez vous: votre ouverture à Dieu. Dieu travaille votre coeur à la manière d'un très beau et bon jardinier. Des fleurs de plus en plus belles pousseront dans le jardin de votre coeur pour la joie de tous.
      Amicalement,
      Guy,omv

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    2. cher père Guy, merveilleux et beau! ce que vous m'écrivez en prose, je dirais bien plus que c'est de la poésie!!! Je vous remercie de toutes vos belles et bonnes pensées à mon égard! Je suis touchée et n'ai pu faire autrement que faire lire votre commentaire à Cesar... Il a aimé! Soyez béni! de Dieu - j'ose le dire bien humblement, en m'adressant à Lui pour vous.

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